Renton le malin, Sick Boy l'ambitieux, Begbie le fou furieux, Spud l'égaré : quatre jeunes qui ont grandi dans les quartiers pauvres d'Édimbourg et que l'amitié a soudés comme des chewing-gums à un trottoir. Ciment et poison de cette relation : la came, l'héroïne, cinquième personnage de ce roman, qui fédère autant qu'elle désintègre.
Quand un bon coup se profile, le dernier, celui qui pourrait mettre tout le monde à l'abri de cette vie chienne, on se serre les coudes. Et on réfléchit au moyen de poignarder les autres quand ils auront le dos tourné.
Irvine Welsh
Irvine Welsh est un écrivain écossais.
Autodidacte, il quitte l'école à 16 ans, avant d'exercer plusieurs petits boulots. En 1978, il quitte Édimbourg pour Londres où il essaie de s’intégrer à la scène punk et devient guitariste et chanteur dans des groupes comme The Pubic Lice et Stairway 13. En même temps, il travaille pour la mairie de Londres et étudie l’informatique.
Vers le milieu des années 1980, il devient agent immobilier. Il revient ensuite à Édimbourg où il travaille au Département du logement de la municipalité.
Il reprend ses études, obtient un MBA (Master of Business Administration) à l’Université Heriot-Watt et publie une thèse sur l'égalité des chances entre hommes et femmes dans le monde du travail. Welsh s’engage également dans la musique en tant que DJ, producteur et tourneur.
Il est accro à l’héroïne de 1981 à 1983, période durant laquelle il a écrit ce qui lui servira de base pour son premier roman Trainspotting (1993). Succès mondial, il fut adapté au théâtre puis au cinéma par Danny Boyle en 1996. L'auteur y fait une apparition, dans le rôle d'un dealer aux côtés d'Ewan McGregor.
Porno écrit en 2002 est la suite directe de Trainspotting, et Skagboys en 2012, Glu en 2001 et Recettes intimes de grands chefs en 2006 se situent dans le même univers. .
Paru en 2008, Crime marque une rupture de genre et de lieu puisqu’il s’agit d’un polar se déroulant principalement aux États-Unis.
En janvier 2009, Danny Boyle déclare son souhait de faire une suite à son film Trainspotting qui se situerait 9 ans après l'histoire et basée sur le roman Porno d'Irvine Welsh. Le film est sorti le 22 janvier en 2017. (source : Babélio)
Skagboys, lutte des classes, drogue et rock'n'roll !
L'intégrale de Trainspotting comprenant quasi 1700 pages, j'ai décidé de lire les 3 tomes de façon séparés. En effet, l'écriture, très parlée et en argot, rend la lecture parfois un peu ardue, tout en permettant une immersion totale.
Skagboys est le premier volet de cette trilogie et nous embarque pour un voyage dans une Écosse sombre au climat social tendu. En effet, Le roman se déroule dans les années 1980, très grande période de réforme sous Margaret Thatcher. Cette dernière surnommée La Dame de Fer est perçue comme le bourreau de l’Écosse.
"Maintenant c'est fini tout ça, ya plus dboulot pour les non-qualifiés comme moi. Mais ça fait du bien, pas le fait de planter des mecs, Tom a raison, Franco a déconné, mais de faire partie d'une bande, avoir de quoi causer, une histoire à raconter. Parce qu'on a tous besoin de ça : on a tous besoin de faire un truc, et d'avoir une histoire à raconter."
On suit Mark Renton, fils d'une famille de ces classes moyennes brutalement déclassées sous les années Thatcher, qui lorsque la déchéance sociale frappe sa famille, sombre dans l'héroïne.
En effet, entre 1979 et 1990, l’Écosse va subir de plein fouet la politique de Westminster. Car de par ses structures économiques, une industrie lourde, majoritairement nationalisée, l’Écosse n'arrivera pas à suivre les directives et à s'adapter.
Face à cette situation, la quasi-totalité de la région reste classée «zone de développement» jusqu’en 1982, et bénéficie à ce titre d’aides publiques aux investissements et à la création d’emplois. A partir de cette date, l’aide se fait plus sélective, ne portant que sur une dizaine de «zones de croissance». C'est après cette réduction d'aide que la famille de Mark perd ses subsides et que tout bascule pour lui à Leith (quartier populaire d’Édimbourg d'où sont originaires nos héros). Ah ! La douce mélodie des dénonciations à la fraude...
Ses amis d'enfance ne sont pas non plus épargnés. Tommy bascule dans la petite délinquance et la violence, tandis que Spud se voit limogé. Franco Begbie chavire dans la violence et devient totalement psychotique. Seul Sick Boy semble pouvoir remonter la pente de l'exclusion sociale. (Et encore ! En passant par la case douteuse du proxénétisme.)
Le roman s'inscrit dans une période troublée pour la Grande-Bretagne et en particulier l’Écosse. En effet, cette crise économique s'accompagne de l'arrivée et de la montée d'une nouvelle drogue : l’héroïne (alias la Skag). En 1996, à la sortie au cinéma de Trainspotting, Irvine Welsh expliquait que "durant les années 80, la drogue de choix pour beaucoup était passée du tabac et alcool à l'héroïne, la cocaïne et l'ecstasy».
Skagboys, qui se déroule avant Trainspotting, suit les parcours de ces jeunes junkies d’Édimbourg complètement accros à l'héroïne, décrivant leurs amours et leurs amitiés, tout comme leurs maladies, leurs doutes et leur mort.
Au travers de ce récit sans concessions, on découvre la drogue du côté du consommateur, les dérives qu'elle entraîne, mais sans non plus cacher le plaisir généré par son absorption.
D'un certains côté, j'ai trouvé que le roman était un peu une version moderne des Misérables de Victor Hugo. On y retrouve entre autre, la déchéance de l'être humain, de son âme, la lutte des classes, etc.
Skagboys est un grand roman abordant le désastre que fut le déclassement des prolétaires et leur l'avilissement social dans les années 80' par le "Thatchérisme", période qui a changé pour toujours la Grande- Bretagne.
Grâce à sa plume, Irvine Welsh réhabilite les voix déchues de cette époque en littérature.
(Crédits photo : vue aérienne sur la Leith Walk.)
Mais même si la situation est noir, Irvine Welsh n'oublie pas de distiller de l'humour tout au long du récit et l'on se prend à sourire, voir à rire devant les facéties de nos héros.
"Dehors, sur le pont recouvert de tessons de verre, un gobe-mouches à la bouche grande ouverte passe le balai, avec l'entrain d'une limace handicapée sous valium. Putain, il y a tellement de cas sociaux qui bossent sur ce bateau que n'importe quel individu à peu près normal devient immédiatement indispensable, qu'il le veuille ou non."
Au niveau de la narration, le roman est à la première personne. Toutefois, les narrateurs se succèdent chacun à leur tour, racontant parfois le même évènement mais d'un point de vue différent. Ce qui ne manque pas de sel lorsque l'on constate un certains décalage selon les versions !
Au niveau de la langue, Irvine Welsh utilise le rhyming slang, c'est à dire l'argot rimé. Cet argot britannique, d'origine cockney, consiste à substituer un mot par un autre mot rimant avec le terme original. Par exemple, "Lou Reed" (le chanteur) est utilisé à la place de "speed".
Enfin, concernant la gente féminine, les femmes ne sont pas au centre du roman mais y jouent des rôles secondaires parfois très importants, que ce soit la petite amie qui aide à s'en sortir (vive les bouées de sauvetage !) ou la jeune ado accro qui devient l'esclave sexuelle de personnages peu scrupuleux. Et l'on suit avec intérêt leurs interactions avec nos héros.
Skagboys est un roman incontournable tour à tour dur et drôle. Une excellente lecture.
Skagboys, c'est le récit d'une époque, d'une génération sacrifiée, un roman noir bourré d'humour et d’amphétamines !
Arriveront-ils à s'en sortir ? Réponse dans la chronique du tome II : Trainspotting !
"Jsuis pas un putain djunky. Jsuis trop malin, trop perspicace pour tomber dans ce genre de piège. Cette saloperie, c'est rien du tout pour moi. Jsais qu'tout le monde dit pareil : c'est pour sdonner un genre, carrément, mais dans mon cas c'est vrai. Jpeux le faire si j'en ai envie, et encore, les doigts dans le nez. Jpeux arrêter à n'importe quel putain dmoment, juste par la force de ma seule volonté. Arrêter, juste comme ça. Mais pas tout se suite."
Auteur : Irvine Welsh
Édition : Au Diable Vauvert
Illustration : Jean-Marc Gourdon et Olivier Fontvieille
Nombre de page : 1710 pages
ISBN : 9781030701227
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