mercredi 28 octobre 2015 Rencontres

Le Fleuve Guillotine - Antoine de Meaux

Où Lyon rencontre son histoire

10 août 1792. Aux Tuileries, une poignée de fidèles se rassemble autour du roi et de sa famille. Les jacobins s’apprêtent à porter le coup de grâce. La France est en révolution, autant dire en plein chaos. Pour Louis du Torbeil et son jeune beau-frère Jean de Pierrebelle, c’est une journée de larmes et de sang. Mais à Lyon, cité industrieuse, la colère monte contre Paris. Venu du pays entier, tout un peuple se rebelle. Bientôt, les armées révolutionnaires font le siège de la ville. Antoine de Meaux nous offre un premier roman flamboyant : la peinture d’un monde qui bascule. Les corps à corps de la guerre civile se mêlent aux amours naissantes. La sauvagerie des forêts offre son décor aux tristes jeux des marionnettes humaines. Le long du « fleuve guillotine », nul ne sera épargné.

Mercredi 14 octobre, la librairie l'Esprit Livre a organisé une rencontre avec l'auteur, Antoine de Meaux (Éditions Phébus), où ce dernier a pu répondre à toutes nos questions. Les interrogations étant nombreuses, je n'ai pu toutes les noter. La retranscription de la rencontre ci-dessous n'est donc pas totalement complète. (Il manque 3 interactions)

Lyon, la nouvelle Troie

Ivan : Bien le bonjour, je remercie tout le monde d'être là ce soir. La rencontre va se dérouler en deux parties. Dans un premier temps, nous aborderons le côté romanesque du roman, puis le coté historique pour ne pas gâcher la lecture des futurs lecteurs.

Comme ça vous pourrez vérifier si les protagonistes collent ou non à l'histoire/Histoire.

Première question : Une raison particulière pour le choix de la fiction pour un sujet aussi documenté que l'Histoire de France ?

Antoine de Meaux : Dans mon premier roman, L'Ultime désert, le héros, Michel Vieuchange part en voyage  dans le désert mauritanien et tente de comprendre l’itinéraire qui l’a conduit à tout quitter pour partir. Le roman explique le choix de cette vie : la mort.

J'aurais pu choisir une fiction comme mon précèdent livre, mais je trouvais que le destin des lyonnais, un destin méconnu, était une sorte d'Illiade à la française. Après j'ai choisi l'Histoire (vs fiction) à cause de mes études. Pour moi, la littérature est au dessus. Avec le roman, on peut aller beaucoup plus loin.

"Cela permet une certaine sensualité de la vie."

Je voulais me mettre au niveau de ceux qui ont vécu ces évènements de 1792/1793. L'historien relate des faits avérés, le romancier, des faits revisités.

Siège de Lyon

Ivan : Il se passe quelque chose tous les jours... Comment ancrer la fiction dans la réalité ? Pourquoi est-ce salutaire ?

Antoine : En premier lieu, j'avais une fascination pour Lyon et son histoire. Par exemple, avec la chute du 9 novembre aux Tuileries, ça m'a donné une envie de roman à partir de ces faits. Je voulais raconter l'histoire des anonymes, des figurants. Ce sont eux qui permettent de déployer le roman. Les personnages  romanesques construisent le roman et permettent de l'achever.

Ivan : Le travail du romancier derrière son ouvrage est une grosse part de ses intentions face à son roman. Dans une interview, tu récuses le terme de "roman historique", peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Antoine : J'ai rien contre le roman historique comme ceux de Tolstoï ou Victor Hugo, qui donnent une grande place à la rêverie. Pour moi, je craignais d'être enfermé dans une case. Je voulais éviter ça. C'est un livre qui se passe dans l'Histoire. En même temps, j'avais l'impression d'écrire un livre contemporain, comme une sorte de hantise toujours d'actualité, telle la guerre en Syrie.

"La guerre, c'est la violence."

Ivan : Pour faire une sorte d'anachronisme, j'ai l'impression que tu fonctionnes par flash, par petites touches, comme un tableau impressionniste...

Carte du Lyonnais et Forez

Antoine : Cette impression s'est faite petit à petit au fil de l'écriture Des chapitres se retrouvaient non numérotés et il fallait les rattacher d'une manière ou d'une autre. Les personnages de fiction, ce sont des personnages parmi d'autres d'une immense tapisserie, l'histoire de deux familles : les Conches et les de Pierrebelle. L'action se fait par fragment, car parfois je n'avais pas assez d'informations sur des personnages historiques.

Ivan : Deux familles, deux branches... On va suivre une branche aristocratique et une plus populaire. On les retrouve pour la 1ère fois aux Tuileries, le fameux 10 août 1792, avant leurs chutes. Les Conche avec Rambert sont plus du côté révolutionnaire dur (Les Jacobins), alors que les Pierrebelle et affiliés (Louis du Torbeil) sont plus royalistes et révolutionnaires modérés (Les Muscadins et Girondins).

Antoine : Louis du Torbeil est un libéral, qui a vécu et s'est battu. Un vieux de la vieille en somme. Tout ces personnages (Charles et Jean de Pierrebelle, Louis du Torbeil et Rambert Conche) se retrouvent aux Tuileries. C'est le moment détonateur de l'intrigue : le Roi se réfugie au Sénat, le palais est pillé... Et une bataille rangée se déclare entre les Suisses et les Révolutionnaires.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/12/Tuileries_Henri_Motte.jpg Bataille des gardes de Suisses de sa Majesté retranchés dans le palais des Tuileries

On a une bataille qui se joue entre deux frères et leur beau-frère contre leur cousin (Rambert, ancien oratorien. Beaucoup d'oratoriens ont été proches de la pensée révolutionnaire surtout jacobine.).

Étonnamment, la Révolution aura attiré beaucoup d'anciens prêtres et comédiens.

Ivan : D'un coté, on a Camille, Jean et Louis et de l'autre Irénée (Conche) et Rambert, qui vont tous se retrouver à Lyon et cristalliser autour d'eux tous ce qu'il va se passer...

Antoine : La présidente de Pierrebelle était une Conche. Les alliances se font avec des milieux sociaux parfois un peu différents . Cela reflétait bien la société de l'Ancien Régime, où tout n'était pas manichéen. (Famille noble de robe alliée à une famille bourgeoise du négoce) Lyon fonctionnait déjà comme une république sous la monarchie. D'où le fait que Lyon ne voulait pas recevoir de leçon de Paris. Lyon possédait une pluralité d'opinions qui avaient cours dans la société de l'époque.

Ivan : Au début, j'avais peur qu'il y ai une vision où il y a des bons et des méchants... On a un ensemble de personnages hétéroclites qui vont apporter chacun leur pierre. Cela m'a beaucoup plu en temps que lecteur.

Antoine : On est défendu par ses propres personnages. C'est comme ça que j'ai pu échapper à ces écueils. On le voit par exemple avec le Chancru. Je l'ai emmené beaucoup plus loin dans l'histoire que ce que j'avais prévu initialement.

Ivan : Le Chancru est au final un personnage synthèse qui vit un vrai voyage initiatique.

Antoine : C'est un personnage qui me parle beaucoup. C'est un des plus cruels et pourtant un des plus vulnérables. C'est un personnage totalement romanesque. C'est lui qui donne le nom au roman : Le Fleuve Guillotine.

Ivan : On va passer à la seconde partie de la rencontre, celle historique. Vous verrez à la lecture à la lecture si cela vous éclaire. Comment ça commence? Les lyonnais ont du mal à accepter les "ravages" de Chalier à la mairie, ce qui va déclencher le conflit.

Joseph Chalier

Antoine : Paris et Lyon évoluent différemment après la chute du  août 1792. Un peu partout en France, les Jacobins font progresser les évènements. En effet, le 10 août, ce sont eux qui opèrent un changement musclé à la tête de la mairie de Paris. (ils sont un poil radicaux.)

Ils essaient à Lyon en prenant le contrôle de la municipalité avec des élections dans les différentes sections de la ville. C'est très tendu, car Lyon est divisée et plutôt modérée (même beaucoup !).

Joseph Chalier était très vindicatif surtout en paroles. Lors du conflit du 29 mai, une marche sur la mairie s'organise et les modérés prennent le pouvoir. A Paris, les Jacobins éliminent les Girondins et inversement à Lyon.

Les lyonnais pensaient que ça allait s'arranger. Les Jacobins voulaient faire un exemple et décident de tout casser pour châtier la ville rebelle.

Afficher l'image d'origine La Guillotine sur la place des Terreaux

C'est aussi Chalier qui amène la guillotine à Lyon et c'est lui va l’étrenner... (rires) Les lyonnais se laissent alors emporter par le ressentiment. Chalier va vivre sa condamnation en martyre, car il sait qu'il est victime de ses adversaires. Pour les Jacobins, il y aura 3 martyres : Marat, Chalier et Le Pelletier. Ils deviendront les saints patrons de la Révolution en marche.

Ivan : Rambert Conche, le sort du confident de Chalier ?

Antoine : On le retrouve plus tard. Lyon franchit le Rubicon lors de la mort de Chalier. Ce qui entraîne le siège de Lyon.

Lyon sous la Révolution

 Ivan : Au sud, on va jusqu'à Perrache, au Nord, la Croix Rousse et à l'Est, les Brotteaux qui étaient en friche.

Antoine : En fait, j'ai été très inspirè par Gang of New-York, de raconter une ville qui a disparu. Maintenant, c'est la ville de Napoléon, une ville industrielle. Avant, la Croix Rousse était un quartier de couvents.

Lectrice 1 : A combien pouvait-on estimer la population ?

Antoine : Ah! ça c'est une colle. Je ne me suis jamais penché plus que ça dessus. Je dirais quelques dizaines de milliers d'habitants. Pas un million.

Image illustrative de l'article Louis François Perrin de Précy Le Comte de Précy

Ivan : Dans cette ville, il y a des gens qui fuient et d'autres qui entrent... Par exemple, le comte de Précy ?

Antoine : On va le chercher. Il avait laissé un bon souvenir aux lyonnais. Il finit par accepter, un peu par réseau, un peu par devoir. C'était un royaliste. Après Lyon avait besoin d'oxygène (blé...) et de créer des liens avec d'autres villes (ex : Bordeaux). Mais cette tentative de fédération fut un échec. Seuls les foréziens ont répondu présent. Ils participent à la suite des évènements et ne s'en sortent pas indemnes. Tout le monde ne s'en sort pas.

L'épisode des foréziens permet d'introduire le jeune Camille de Pierrebelle, qui découvre la vie et la guerre un peu comme un jeu.

Ivan : Il y a aussi de l'amour, des personnages féminins importants ?...

Antoine : Oui. Le principal est Sophie de Pâle. Son mari est mort et elle se retrouve dans une France à la dérive avec une fille en bas âge. C'est une réfugiée qui va se mettre à l'abri à Lyon, où elle a quelques connaissances. Il y a aussi Jeanne, une coureuse de nuit (= une prostituée), qui fascine un des personnage du roman. Elle représente bien cette époque où les femmes se travestissaient pour combattre ou qui participaient à des actions héroïques.

Ivan : On voit que quelque soit l'angle par lequel on aborde l'histoire de la ville de Lyon, on ne retombe pas sur un personnage du Fleuve Guillotine, que ce soit Le Chancru, Rambert ou encore Barthélémy.

Antoine : Je voulais des personnages complexes. Ce sont des personnages de chair qui ne peuvent pas se laisser enfermer dans des cases.

Lectrice 2 : Comment avez-vous trouvé le titre ?

Antoine : Le Chancru, graveur sur eaux-fortes, trouve le nom. Il se fait témoin du conflit. Il crée une gravure qui s'appelle le "Fleuve Guillotine".

Révolte de Lyon

Lectrice 2 : Est-ce que vous êtes documenté en même temps que vous écriviez ?

Antoine : J'ai utilisé les écrits d’Édouard Herriot par exemple, et aussi beaucoup de mémoires et d'archives.

Lectrice 2 : Combien de temps pour écrire ce roman ?

Antoine : 10 ans, mais c'est ma faute, car je ne gagne pas ma vie avec mes livres. Mais le temps m'a permis de décanter l'écriture.

Lectrice 3 : Combien de gens guillotinés? (Dont Ampère qui était un des juges de Chalier)

Antoine : En chiffre, le nombre est d'à peu près 2000 exécutions après jugements. Il faut ajouter tous les morts lors du siège et des différents combats. On peut facilement doubler le chiffre.

Afficher l'image d'origine Façade de la chapelle des Missionnaires de Notre-Dame. C’est sous cette chapelle que se situe la crypte des Brotteaux (image de Rue 89)

Ivan : A la fin du siège, une véritable chasse à l'homme se met en place et traque tous ceux qui tentent de sortir de la ville.

Lectrice 2 : Saint Étienne a bougé ?

Antoine : Saint Étienne était plutôt jacobine... Les habitants ont chassés les lyonnais. Saint Étienne ne voulait pas de la guillotine. Elle marchait pas bien! (rires)

Lectrice 4 : Répression ?

Antoine : Oui. Il y a eu la perte de notre nom. Lyon est devenue Ville Affranchie et le département a été coupé en deux (nos actuels Loire et Rhône), les maisons nobles et bourgeoises ont été détruites, etc. C'est Napoléon Bonaparte qui relèvera la ville. D'où l'attachement des lyonnais à Napoléon. Une terreur blanche est aussi instaurée...

L'histoire de la Révolution a été verrouillée par les jacobins jusque dans les années 80'. François Furet a nuancé la Révolution en expliquant qu'il y a du bon et du mauvais. Au contraire, pour Clemenceau, la Révolution est un bloc. La Révolution souffre d'une vraie désaffection auprès des historiens.

Ivan : Cette violence des jacobins envers Lyon peut s'expliquer ?

Antoine : La République était en danger... Aux grands maux, les grands remèdes. C'est la justification qui a été utilisée. Ils ne voulaient pas de guerre civile en plus de celles sur les frontières. Il y avait aussi un côté pervers de soumettre par la violence. Il n'y avait pas de conciliation possible.

Les lyonnais étaient prêts à aider la Patrie. Ils ne s'attendaient pas à ce siège, à être forcés à cette bataille et cette répression.


C'est sur cette dernière phrase que la rencontre c'est terminée.

Vous l'aurez compris, le Fleuve Guillotine est un superbe roman retraçant un épisode héroïque de la ville de Lyon lors de la tempête révolutionnaire qui secoua la France entière.

J'espère que le compte-rendu de cette rencontre vous a plu et que vous aurez envie de découvrir un pan de notre histoire grâce à la plume d'Antoine de Meaux.

Afficher l'image d'origineTitre : Le Fleuve Guillotine

Auteur : Antoine de Meaux

Éditions : Phébus

Nb de pages : 464p