lundi 11 mai 2015 Littérature

L'Art de nuire - Pierre Houdion

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Comment ne pas se sentir grisée par la faveur des dieux lorsque, tout à la fois séduisante, noble, cultivée, et surtout protégée de la duchesse de Chartres, on a la chance de faire son entrée dans le monde sous le règne du "bien aimé  Louis XV" ? Mais les ennuis commencent, pour Mademoiselle de Carvoisin, aussitôt qu’elle choisit d’épouser, contre l’avis de ses tuteurs, Monsieur de Bombelles, rompant ainsi par amour un mariage arrangé. « Ennuis » est peu dire : le jeune couple fait alors l’objet d’une véritable mise à mort sociale, d’une machination implacable, ourdie à base de mensonges, de manipulations, de faux documents, et dont leurs propres familles tirent les ficelles. Car l’héroïne de ce roman vrai et son mari n’ont rien des aventuriers sans scrupule et sans loi qui hantèrent la fin de l’Ancien Régime. Ils incarnent simplement une idée du bonheur qui était encore trop neuve en Europe.

En notre bon royaume de France, à la fin du XVIIIème siècle, une jeune fille mineure (c’est à dire moins de 20 ou 25 ans selon le profil) avec peu de fortune n’a guère de choix pour assurer son avenir : entrer au couvent ou se marier (ça fait rêver n’est-il pas?).

Tel est le cas de Mademoiselle de Carvoisin, jeune orpheline éduquée à la célèbre école de Saint Cyr pour jeunes nobles désargentées (École fondée par Madame de Maintenon sous Louis le 14ème). Celle-ci se retrouve sous la tutelle de son cousin, le marquis d’Achy. Sa femme, Madame d’Achy, rendue « au statut cruel d’ancienne jolie femme » (En gros une vieille peau aigrie) est jalouse de la beauté et de la jeunesse de Mademoiselle de Carvoisin. Elle lui prépare en conséquence un mariage arrangé avec « un époux sévère, vieux ou laid, ou les trois à la fois ». (Eh oui… Le botox n’existait pas encore ça lui aurait peut-être arrangé le caractère!)

Seulement…Il y a un hic! La douce, mais néanmoins ferme jeune femme refuse cet arrangement. Âgée de 19 ans et d’une intelligence vive, notre héroïne « envisageait avec la plus grande détermination de ne pas accepter ce qui ne lui conviendrait pas, tout en imaginant bien combien la vie, dès lors, deviendrait difficile ». (Y’a du rififi dans l’air!) Sa rencontre avec Monsieur de Bombelles, un officier sans solde avec qui elle décide de se marier par amour malgré l’opposition de ses tuteurs sera le déclencheur d’une véritable machination assortie de manœuvres perfides pour la priver de ses quelques revenus et surtout détruire leur union.

L’affectueuse protection de la duchesse de Chartres saura-t-elle résister à sa patience de « bonne fée » devant l’ampleur du complot? (Pfiou… Tout ça parce que une vieille ne supporte pas de vieillir… ça donne des frissons.) Ce roman dresse un portrait très réussi de la petite bourgeoisie sous Louis XV (18ème siècle). Pierre Houdion nous invite, à travers une vision objective, à observer le jeu des faveurs et des manigances de personnes qui ne souhaitent qu’une chose : être dans les bonnes grâces de la noblesse. A ce jeu de « chasse au pouvoir » (ou plutôt à ses miettes), on ressent toute l’ambiguïté des rapports humains à cette époque.

« Mon enfant, mais tout le monde demande sans cesse ! C’est ce qui fait aussi la marche de l’Etat ! Si vous vous contentez d’attendre sans rien dire, comment voulez-vous qu’on vous distingue du néant ? »

Entre « Les liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos et « Madame Bovary » de Flaubert, ce roman nous entraîne à la découverte des replis sournois de l’âme humaine et de cette société, toujours plus avide de pouvoirs et de conquête, et prompte à détruire et à calomnier.

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  Titre : L'Art de nuire

  Auteur : Pierre Houdion

  Éditions : Thierry Marchaisse

  Nb de pages : 132p